–Pendant la période révolutionnaire, la commune de Neuilly-le-Vendin, fut presque continuellement ravagée par les bandes de brigands, connus sous le nom de chouans, mais qui n’avaient rien de commun avec les partisans du fameux Cottereau, dit Jean Chouan, et qui, jusqu’en 1795, terrorisèrent la contrée. Originaires des environs, pour la plupart, ils parcouraient les campagnes, armés, dévalisaient les habitants, tuant ceux qui essayaient de leur résister ou refusaient de leur donner ce qu’ils demandaient.
Parmi les nombreux assassinats qu’ils commirent dans la commune, on a conservé le souvenir de plusieurs.
Ce fut d’abord une veuve Poirier, qu’ils égorgèrent dans son lit, en présence de sa fille, contrainte par la force à assister à cet affreux spectacle.(1)
Cette veuve Poirier avait quatre fils (2) dont les aînés s’étaient fait, dans le pays, une certaine renommée par leur force et leur adresse peu communes, et aussi par leur humeur un peu batailleuse. Ils vouèrent une haine mortelle aux assassins de leur mère.
(1) la maison qu’elle habitait dans le bourg appartient aujourd’hui à M. Morice, épicier.
(2) Le plus jeune était ce Poirier, médaillé de Ste Hélène dont nous avons parlé, mort en 1882.
Un jour, l’un d’eux entrant au débit de tabac (1) où se trouvaient plusieurs chouans, un de ces bandits lui dit d’un ton qui n’admettait pas de réplique :
« Donne-nous ta toquante (montre et ta serrante » (sorte de large ceinture dans laquelle, à cette époque, on serrait son argent)). Poirier, pour ne pas éveiller la défiance de ses ennemis, s’empressa de détacher sa montre, mais, au lieu de la leur remettre, il fit un signe à son frère qui passait dans la rue, et tous deux se précipitèrent sur les chouans et les assommèrent avant qu’ils n’eussent eu le temps de se servir de leurs armes.
(1) la maison est aujourd’hui habitée par un nommé Leroyer
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Après cet exploit, continuellement traqués, les frères Poirier furent obligés, pour échapper au sort qui les attendait, de se cacher dans les granges et dans les fenils, et de changer continuellement de retraite jusqu’à ce que l’ordre fut rétabli.
En janvier ou février 1794, un dimanche, un combat eut lieu, près de la Blinière, entre les bleus (soldats républicains) et les chouans.
Surpris et cernés par un détachement de chasseurs venu d’Alençon, les brigands, qui s’étaient rassemblés et cachés dans les champs de genêts situés entre le chemin de la Blinière et la rivière d’Aisne, laissèrent sur le champ de bataille soixante morts ou blessés.
Longtemps après, les cultivateurs trouvaient encore des débris d’armes en défrichant leurs champs.
Malgré leur défaite, les chouans ne disparurent pas de la contrée ; le 11 florial de l’an III (30avril 1795), quelques-uns se présentèrent encore dans le bourg. Malgré leur déguisement, plusieurs furent connus. La terreur qu’ils inspiraient était telle qu’on n’osa pas se mettre en état de défense et les repousser. Ils pénétrèrent chez un nommé Julien Derouet, qui était menacé depuis longtemps, le saisirent et l’ayant traîné à l’angle de sa maison, au carrefour des deux routes qui traversent le bourg, le fusillèrent à bout portant.
Il avait 47 ans et était un des membres les plus influents du conseil général de la commune. C’est lui qui avait été un des députés de la paroisse aux élections des Etats-Généraux
Le feu ayant pris à ses vêtements, une femme courageuse (1), malgré les supplications de sa famille, alla l’éteindre en versant un seau d’eau sur le corps de la malheureuse victime des chouans. (Récits d’un octogénaire).
Ce fut un des derniers exploits de ces misérables ; quelque temps après, la tourmente révolutionnaire s’apaisa, et les paisibles habitants de Neuilly reprirent tranquillement le cours de leur laborieuse existence.
1) elle était voisine et amie de la famille Derouet.
Restauration.
La chute de l’empire et la restauration laissèrent indifférents les habitants de Neuilly. Cependant, on rapporte, qu’en 1815, un ancien huissier de Couptrain, révoqué de sa charge à cause de ses opinions bonapartistes et anti-gouvernementales, se trouvant à Neuilly ou il venait souvent, entra dans un café(1) et aperçut sur la cheminée un buste de Louis XVIII. Entrant en fureur à la vue de cette image exécrée ; « Misérable, dit-il en lui montrant le poing. Tu es cause que je mendierai mon pain. » Et il brisa le plâtre.
Les opinions étaient partagées par son ami, M. Fontaine, instituteur à St Ouen-le-Brisoult, qui jouissait de l’estime générale dans sa commune.
Traqués tous deux comme des bêtes fauves par les sbires du protégé des étrangers, ils réussirent à leur échapper pendant quelque temps, grâce à la complicité des habitants qui les recueillaient. Arrêtés à la fin, ils furent traduits devant une cour martiale, condamnés à mort et exécutés à Alençon, victimes de la terreur blanche. (Récit d’un octogénaire)
(1) Tenu par Mme Veuve Esnault.